Mai 1940 : la bataille d'Haubourdin

A l'aube du 10 mai 1940, après plus de huit mois de guerre, l'armée allemande lance une offensive analogue à celle qu'elle avait menée vingt-six ans plus tôt. Pour la contrer, les soldats anglais cantonnés à Haubourdin se mettent en route.

Avec les premiers revers, commence l'exode des réfugiés belges. Beaucoup d'Haubourdinois qui se souviennent de l'autre guerre prennent leur sillage. La panique est telle qu'il restera un seul médecin sur place. Il convient de dire que beaucoup de membres du corps médical avaient été mobilisés. Mais nombre de personnes “indispensables” sont victimes de la contagion.

L'armée française, refluant de Belgique et de Hollande, traverse Lille, cherchant, pour échapper à l'encerclement, un chemin vers la Somme, puis vers Dunkerque. Le 25 mai, le général Blanchard donne l'ordre de repli sur le port de la mer du Nord. Le lendemain à 11 h 30, on brûle les drapeaux et les étendards.

Le corps de cavalerie devait participer, le 27 mai au matin, en liaison avec des unités blindées de l'armée britannique, à une contre-attaque dans le secteur de Seclin-La Bassée. Des éléments importants du groupe d'ambulances s'installent, le 26, dans les bâtiments de la brasserie Liagre-Rose. Les véhicules sont camouflés sous les arbres du parc. Vers 18 heures, cinq torpilles aériennes de gros calibre s'abattent sur le parc et les bâtiments. On dénombre quinze morts et une vingtaine de blessés grièvement atteints. Parmi eux une jeune infirmière.

Le même jour, les deux premières victimes civiles sont relevées sur la rive gauche.

Dans l'après-midi du 27, un corps blindé allemand, fort de trois divisions, submerge les défenses de La Bassée tenues par le groupement Vernillat et coupe la route Lille Dunkerque entre le Calvaire de Lomme et Armentières. La bataille d'Haubourdin va commencer.

Le matin du 27, tous les organes motorisés de ravitaillement en munitions et vivres, ainsi que toutes les ambulances ont été dirigés sur Dunkerque. Les généraux les plus étoilés ont franchi la Lys. Mais le gros de cinq divisions de la première armée n'aura pas cette chance. Ces unités ne disposent, comme munitions, que du contenu du train de combat, et comme moyens sanitaires que des postes de secours des corps de troupes.

La percée allemande à La Bassée prend dans une nasse ces éléments déjà éprouvés par la campagne de Belgique. Ils tourneront en rond au cours de la nuit pour chercher une brèche. Certaines unités, souvent des petits groupes, parviendront à franchir la Lys. Les autres se retrouveront autour de Lille dans un enchevêtrement incroyable.

De tous les généraux de brigade encerclés avec leurs troupes, le plus ancien est le général Molinié. Il prend le commandement, établit son P.C. à Haubourdin et articule son dispositif de la façon suivante :

Cette distribution des tâches permettra de lancer dans la bataille toutes les unités dispersées et les soldats isolés. Avec l'occupation de Lille, faubourgs du nord et de l'ouest exceptés, les liaisons sont précaires entre les généraux et il n'est pas possible de regrouper les hommes sans risquer le désordre et des pertes inutiles.

La pression de l'ennemi est particulièrement vive sur le faubourg des Postes dès le matin du 28. En fin de matinée, le lieutenant Sanglerat du 38è R.I., appartenant à la 25è division d'infanterie motorisée (celle du général Molinié), fait prisonnier le général allemand Kuhn commandant la 253è division et s'empare de l'ordre d'attaque prescrit par le général Waeger chargé de réduire la poche autour de Lille.

Ses dispositions sont les suivantes : trois Panzer Div. (4è , 5è et 7è ) attaqueront le front ouest, la 7è division le nord, la 253è le nord-est, la 217è le sud-est et la 267è division le sud.

Dès lors, le général Molinié décide de tenter une percée en direction d'Armentières. Il s'agit de franchir les ponts sur la Deûle, l'axe de l'attaque se situant au pont de l'Abbaye, à la limite d'Haubourdin et de Loos. Le général Dame sera chargé de cette opération, soutenu à sa gauche par le général Mesny et, à sa droite, par le général Mellier renforcé des blindés du général Juin aux ordres du commandant de Moustier.

Dame avait monté son attaque en utilisant le pont de l'Abbaye et celui de la grand-route. Mesny aurait élargi le front jusqu'au pont du Moulin Rouge avec, éventuellement, une diversion par le pont de la rue du Clocher. Mais, vers 16 h 30, les deux ponts du centre de la ville sautent, pour interdire le passage aux Allemands répandus sur la rive gauche. Il ne reste plus, comme points de franchissement, que le pont de l'Abbaye et celui du Moulin Rouge.

A 19 heures, le général Dame transporte son P.C. en bordure de Loos dans la filature Delebart-Mallet. L'attaque est menée à la nuit tombante par le 2è bataillon du 13è algérien suivi du 1er bataillon. Le premier pont sur le canal est enlevé et les canons anti-chars qui le défendent sont pris. Le second pont est miné. La 7è compagnie ouvre le passage. Il se produit alors un flottement que va accentuer la réaction allemande.

Sur Canteleu, cependant, tandis que de furieux combats se livrent à Sequedin, quelques éléments motorisés, dont les blindés du commandant de Moustier, peuvent gagner Armentières et, de là, Dunkerque.

Dans la nuit qui s'achève, l'artillerie allemande pilonne les ponts de Sequedin et l'avenue de l'Abbaye. Les Français se replient derrière la Deûle où ils se retranchent.

A l'autre extrémité, le général Mesny réussit à faire traverser le pont du Moulin Rouge par ce qui lui reste de blindés. Plusieurs engins seront arrêtés par des mines. Des tirailleurs tunisiens se glissent par le pont de chemin de fer et, en s'abritant derrière le talus de la voie ferrée, essaient d'élargir la brèche. Ils se feront tuer à l'entrée des Cattelaines. Le général Mesny tentera, au petit jour, de relancer l'attaque mais il devra, lui aussi, se replier à l'abri du canal.

Dans le secteur d'Haubourdin-Ouest, les coloniaux de la 5è D.I.N.A. disputent pied à pied le territoire à l'ennemi. D'un mur de l'orphelinat Saint Augustin, une mitrailleuse interdit toute progression des Allemands vers le cimetière, tandis qu'autour de l'hôpital de Loos, les hommes de Jenoudet résistent avec le même acharnement.

Les civils, étroitement mêlés aux soldats, paieront un lourd tribut à la bataille. Avenue Roger Salengro, les Allemands mettent le feu aux maisons, font sortir les hommes des caves et en fusillent plusieurs comme “francs-tireurs” . Au château de Beaupré, des réfugiés belges tombent. A l'autre extrémité, boulevard de Lassus, un homme est tué en tentant d'éteindre l'incendie de sa maison.

Pendant quatre jours, soldats et civils partageront le même maigre et précaire ravitaillement et les mêmes abris sans électricité où fument les lampes à pétrole et les bougies.

Le 29 mai, tandis que les Français pansent leurs plaies, les attaques allemandes redoublent de violences. Le faubourg des Postes à Lille est pris.

La situation devient dramatique pour les blessés de Loos et d'Haubourdin, car les hôpitaux sont sur la ligne de feu ou aux mains de l'ennemi. Le général allemand Waeger prend une initiative unique dans l'histoire des guerres : il accepte l'évacuation des blessés, civils et militaires, vers les hôpitaux de Lille. Des “cessez-le-feu” locaux et momentanés permettront le passage des convois à l'aller et au retour.

Le 30 mai, les attaques s'intensifient, surtout contre Loos et Canteleu. Le soir, le général Waeger menace, par tracts, de faire d'Haubourdin, Loos et Canteleu, par bombardements massifs, une terre brûlée si le général Molinié, “criminel de guerre” , ne met pas aussitôt bas les armes.

Le même soir, James Fleury, le maire, envoie au général Molinié une lettre que celui-ci recevra le lendemain matin. “Si vous estimez que la prolongation de la lutte jusqu'à épuisement des munitions vous est imposée par l'honneur militaire, toute la population sera derrière vous” .

Le 31 mai, les attaques s'intensifient. A 17 heures, Canteleu tombe. A 18 heures, Loos subit le même sort. Les généraux Dame et Mesny informent le général Molinié que les munitions seront bientôt épuisées.

C'est là que se place un épisode surprenant. Un capitaine du 9è Dragons a mis la main, à Loos, sur un char et deux chenillettes en panne. Il a remis ces engins en état et au moment où ses cavaliers ne disposent plus que de quelques chargeurs, il contre-attaque avec le char et les chenillettes armées de fusils-mitrailleurs, faisant onze prisonniers, dont un officier qu'il conduira lui-même au P.C. du général.

Un peu plus tard, un parlementaire allemand est introduit. Il propose au général Molinié de le conduire auprès du général Waeger pour régler les conditions de la reddition.

A 20 h 30, raconte le général Molinié, Waeger me réserva un accueil d'une parfaite correction. Il m'accorde mes deux exigences essentielles : absence de tout contact entre les Français qui conservent leurs armes et les Allemands. Les uns et les autres passeront la nuit sur leurs positions respectives. Enfin, c'est en armes que les Français recevront les honneurs de la guerre.

Le 1er juin au matin, sur la grand-place de Lille, après avoir défilé, tête directe, devant Waeger et un bataillon allemand présentant les armes, les Français rendirent les honneurs au général Molinié en défilant devant lui, tête droite.

Le lendemain, 2 juin, Hitler appelle Waeger au téléphone pour lui reprocher l'hospitalisation des civils et des militaires à Lille, son refus de transformer Loos et Haubourdin en terre brûlée et, enfin, les honneurs rendus aux vaincus. Relevé de son commandement, le général Waeger sera renvoyé chez lui en disgrâce définitive.

Quelques heures avant que les Allemands rendissent les honneurs militaires à leurs adversaires, un drame se déroulait dans la brasserie Potié où se tenait le commandant du 40è régiment d'artillerie. Le colonel Dutrey avait dit, la veille, au P.C. du général Dame : “Je ne rendrai pas moi-même mes canons intacts à l'ennemi” . A 6 h 30, il se tirait une balle de revolver dans la tête.

Emmenés en captivité, les généraux Dame et Mesny devaient y mourir tragiquement, le premier, dans des circonstances mal définies, des suites d'une maladie que le manque de soins rendit mortelle et le second, qui avait contribué à l'évasion du général Giraud, fut abattu par un S.S. d'une balle dans la nuque, le 19 janvier 1945, sur ordre de Keitel, au cours d'un transfert du camp de Koenigstein à celui de Colditz.

La résistance des troupes placées sous le commandement du général Molinié, favorisera les opérations d'évacuation de Dunkerque. La flotte alliée pourra amener en Angleterre 338 226 hommes dont 139 911 Français et Belges.

Comme devait l'écrire Winston Churchill : “Ces Français, durant quatre jours critiques, avaient contenu pas moins de sept divisions allemandes qui, autrement, auraient pu prendre part aux attaques sur le périmètre de Dunkerque. Ces troupes apportèrent ainsi une splendide contribution au salut de leurs camarades plus favorisés et du corps expéditionnaire britannique” .

Le 27 mai 1952, le secrétaire d'État à la guerre citait à l'ordre du régiment :

Haubourdin (Nord)
Violemment bombardée en mai 40, sa population n'a cessé de résister pendant quatre années aux rigueurs et aux horreurs de l'occupation. Soixante-treize civils ont été tués et trente et un immeubles détruits par faits de guerre et trente-neuf par représailles.

Cette citation comporte l'attribution de la Croix de guerre avec étoile de bronze.

Le maréchal Juin devait, en 1953, remettre officiellement la distinction.

Pendant plus de quatre ans, Haubourdin connaîtra les dures lois de l'occupation. Certes, disent les anciens, ce n'est plus la même chose qu'au cours de la Grande Guerre. On peut recevoir des nouvelles, trop rares encore, de ceux qui n'ont pas regagné leur foyer. Mais il faut, une fois encore, se taire, se méfier d'amis très chers incapables, parfois, de discrétion. Quand des coups sourds frappent la porte, la nuit, on ne sait jamais s'ils ne sont pas ceux de la police ennemie et si l'on ne connaîtra pas la prison, la torture, la déportation, la mort.

Le ravitaillement pose, à nouveau, des problèmes. Dans les premiers jours de l'occupation, alors que les ponts sont coupés, une véritable “mairie annexe” s'installera boulevard de Lassus.

Un cimetière militaire sera aménagé près du cimetière communal et bien des Haubourdinois iront, en un geste de protestation et d'espoir silencieux, fleurir les tombes des “Morts pour la France” .

Une vie clandestine s'organise. Des réfractaires au travail en Allemagne trouveront, dans les usines qui tournent encore, un emploi et un abri. Comme partout, on écoute la radio de Londres et on colporte, sous le manteau, les feuilles clandestines. On apprendra, après la Libération, les noms des militants des mouvements patriotiques et ceux des victimes. Des rues d'Haubourdin rappellent le souvenir de Charles Fremaux, de Georges Charlet, du capitaine Haezebrouck, héros, parmi d'autres, de cette guerre.

Les bombardements et les attaques de trains par les chasseurs bombardiers deviennent si fréquents que la circulation en ville deviendra dangereuse. On n'accompagnera même plus les convois funèbres au cimetière.

Enfin, septembre 1944 arrive. Depuis le mois de juin on suivait sur la carte la progression alliée.

Comme en octobre 1918, ce sont des troupes britanniques qui libèrent la région du Nord. Le 4 septembre, les 7è et 11è divisions blindées foncent vers la Belgique, l'une par Béthune, l'autre par Lens et le 8è corps d'armée libère Lille, Roubaix et Tourcoing.

Les Haubourdinois font fête à leurs libérateurs. Mais derrière le sentiment de délivrance, apparaîtra, très vite, le souci de ne plus jamais “remettre ça” , de faire que la guerre 1939-1945 soit, vraiment, la “der des der” , d'empêcher des antagonismes qui paraissent dépassés, stupides et criminels.

Peu à peu, chacun prend conscience, surtout dans la région du Nord, de son appartenance à un ensemble qui fait fi des limites des états nationaux.

L'Europe apparaît comme la dimension indispensable pour résoudre les vrais problèmes de notre temps.

A cette construction européenne, qui passe par la réconciliation franco-allemande, Haubourdin a contribué pour sa part, en nouant des relations amicales avec une ville allemande, Jülich.

Ces deux villes, qui s'ignoraient malgré bien des points communs, apportent, ensemble, leur pierre à un monde plus fraternel où régnerait la paix promise aux hommes de bonne volonté.

Voir également : Le martyre d'Haubourdin en mai 1940

Source : Haubourdin dix siècles d'histoire - Augustin Laleine et Mairie d'Haubourdin - 1972